Durant plusieurs voyages en Afrique de l’Ouest, à étudier la musique traditionnelle de cette région, j’ai découvert toutes sortes d’instruments de musique.

En particulier, il existe un instrument à cordes appelé kamalengoni qui est devenu l’un de mes instruments préférés. Voici l’histoire fascinante de cet unique instrument.

Le kamalengoni est un type de harpe-luth, joué originellement par les Bambaras (ou Malinkés) de la région Wassoulou au Mali. Plus connu comme « la harpe des adolescents », le kamalengoni appartient à une famille d’instruments à cordes appelée ngoni.

Ayant entre 6 et 10 cordes, le kamalengoni est composé d’une grosse calebasse (flé), qui est la caisse de résonance, dans laquelle une petite ouverture () est découpée. La calebasse est recouverte d’une peau de chèvre. Un long manche de bois (kala) est placé en haut, sur lequel les cordes (djourous) sont fixées. Les cordes sont faites de fils de pêche ou, autrefois, de boyaux (de chèvre ou de mouton). On pince les cordes avec le pouce et l’index.

De nos jours, le kamalengoni est utilisé pour la musique populaire ainsi que pour les fêtes célébrées dans les villages, comme les baptêmes, les mariages, les naissances, et bien d’autres occasions joyeuses. Mais il n’en a pas toujours été ainsi.

Le kamalengoni est dérivé d’un instrument plus ancien appelé donsongoni, ou la harpe des chasseurs, qui se trouve aussi à Wassoulou. La région Wassoulou est très connue pour ses chasseurs (donso) et ses forgerons (numu), qui jouent des rôles importants dans la société Malinkée. À la fois redoutés et respectés, ils sont estimés au village en grande partie de par l’importance de leur travail mais aussi car ils sont parfois considérés comme des sorciers, capables de travailler avec les puissances mystérieuses de la nature (nyama).

La musique donso est donc considérée comme sacrée et puissante, et d’après la tradition, le donsongoni est joué exclusivement par les chasseurs plus âgés et respectés — ceux qui sont déjà initiés à donsoya, ou l’art de la chasse. Les chansons épiques qu’ils chantent, appelées donsomaana, évoquent des épreuves opposant les chasseurs, les bêtes sauvages, et les génies de la brousse.

La légende raconte que le kamalengoni a été créé pendant les années 1950 par de jeunes garçons qui, étant trop jeunes pour devenir chasseurs eux-mêmes, imitaient la musique des chasseurs pour s’amuser. Un jeune fermier appelé Alatta Brulaye a été le premier à modifier le donsongoni pour créer « la harpe des jeunesses. » Alatta voyageait dans de la région, jouait de l’instrument et enseignait aux autres comment en jouer. Un nouveau genre de musique était né.

Cette nouvelle musique est devenue rapidement très populaire parmi les jeunes, qui se rassemblaient la nuit dans les villages pour danser sur la musique envoûtante du kamalengoni. Cependant, les anciens, n’étaient pas contents et ils l’appelaient « la musique du bordel » parce qu’ils étaient choqués de voir les garçons et les filles danser ensemble d’une telle manière. Les anciens ont ainsi interdit l’instrument, l’appelant samakoro, qui veut dire « puce », car la danse folle des jeunes les faisait ressembler à des pantins assaillis par des puces ! Non seulement, les anciens étaient choqués par la danse mais en plus, ils ont éprouvé une colère immense d’entendre la musique sacrée des chasseurs utilisée ainsi.

Pour apaiser la colère des anciens, les jeunes amenaient aux anciens des noix de kola, des poulets et même des chèvres en guise de cadeaux et de sacrifices. Ils demandaient leur pardon et leur permission de jouer cette musique-là.

Ainsi donc, depuis cette époque, la musique vivante du kamalengoni s’est répandue dans toute la région. Également, de nos jours, elle fait partie intégrante du style populaire connu sous le nom de « musique wassoulou ». Cette musique est un symbole de jeunesse et de rébellion, de par sa légende mais aussi et surtout car elle prend racine dans la musique sacrée des chasseurs. Ces éléments contribuent à la mythologie du kamalengoni et à l’attrait qu’il suscite.

Aujourd’hui encore, des artistes populaires dans toute l’Afrique de l’Ouest enregistrent leur musique en utilisant le kamalengoni, en mélangeant la musique traditionnelle avec du blues et du jazz. Des musiciens comme Oumou Sangare, Issa Bagayogo, Salif Keita, et d’autres ont aidé à populariser le kamalengoni et à le faire connaître sur la scène internationale.

From Resonance N’goni on Vimeo:

“This video features Lassina Traore playing his six string n'goni. We produced this video from some footage we shot the historic village of Sendou, in the South West region of Burkina Faso. This region is famous as being home to thousands of people from the donso caste, who to this day remain staunch in the practise of their traditions and ceremonies.”